Mine de rien, 1998

Ce titre mine de rien témoigne d’une attitude qu’on aimerait laisser en suspens. Il vient juste comme une indication qui évoque une légère impertinence. Écrire oblige à préciser ce qu’on aimerait sous-entendre dans une complicité partagée, par une mimique, un haussement d’épaule ou une moue amusée. Si ce titre renvoie à une attitude, il évoque aussi des formes, mais des formes indéfinissables  laissées dans un état d’indétermination – sans queue ni tête – et elles ne le sont pas tout à fait et justement, pas vraiment. Cette expression mine de rien me permet de pointer cet écart entre une forme et un réel. L’exposition présente des œuvres où, à la présence d’un objet ou d’un extrait d’objet issu du réel, se superpose un signe abstrait qui instaure une situation duelle voire conflictuelle. Cet écart,  créé par le conflit, provoque un « effet de réalité ». Le signe abstrait s’additionne avec un léger décalage à l’expérience des sens. Un dialogue s’installe entre l’objet réel et une forme : le regard est suspendu entre une reconnaissance et une dénégation.

Dans les sculptures, cette forme prolonge, répond, distord ce dialogue avec l’objet réel jusqu’à provoquer une situation incongrue. Une suite d’habits noués s’érige en colonne. Au dos d’une forme en aluminium brossé, des « colombins » de grillage modelés se dressent : ils s’appuient, s’arc-boutent pour s’enrouler et se dérouler. Le grillage, matériau habituellement ingrat a gardé sa souplesse, sa frilosité pour contourner une masse. La tresse, par la superposition des couches de grillage, rythme la lumière en révélant une densité de vide accumulé. Le grillage, la cire sont des matériaux qui délimitent et gardent la transparence, sur lesquels le regard s’appuie t qu’il traverse. Ils s’annoncent et dénoncent la forme.

Dans les bas reliefs, la résurgence d’une référence tridimensionnelle propre au réel traite de la profondeur, de la masse, du volume, de l’ombre. Ces projections planes structurantes de l’espace tentent de restituer à la vision une connaissance perceptive de la profondeur. Des bas-reliefs formés de morceaux épars résonnent dans le brouillage de la mémoire comme une ultime rémanence.

Les céramiques érigent une forme chancelante qui se ploie pour dresser un… une … un appendice – queue, nez, bec, trompe, sexe – qu’importe, tout cela et rien de cela. Une forme qui désavoue la fragilité de la matière et tente une percée (une sortie) dans l’espace comme ces antennes qui explorent les environs par tâtonnement. Frondeuses, les céramiques  défient la verticalité, la chute des corps, la gravité. Les colombins dressés à contre-sens des lois de la construction s’épaulent, se soutiennent dans un maintien vacillant rassemblés pour se prolonger comme une ultime justification, par cet appendice soutenu, amené dans un enroulement : ce détail qu’on voit comme un nez au milieu du visage, qui retient toute l’attention. Les céramiques conspirent avec et contre moi, par leur maladresse et dans leur arrogance.

Si cette exposition mine de rien prolonge un regard sur le réel, elle renouvelle dans mon travail, les objets, les références issues du réel. Posant de façon plus manifeste une réponse formelle, aux interrogations du regard. Ces formes se posent, se placent dans l’espace, dans le champ du regard comme des formes que l’on appréhende physiquement. Elles se jouent  de ce regard et se déjouent de l’identification. Elles créent une vacance qui laisse la pensée en suspens et vous maintient en état de qui-vive, d’alerte.

Cette exposition restitue une trame qui parcourt le travail : interroger le dérisoire, son statut dans l’ordonnance du monde. Quel regard, quelle compréhension lui prête-t-on ? déchéances anodines qui ont glissé doucement vers quelque chose qui n’a plus de nom, plus de forme identifiable, qui porte, sous-tend le réel sans le représenter. Elles sont plutôt retenues pour leur insignifiance ; si peu reconnaissables et déjà matériau.

Pas de drame, pas d’affect, mais une question qui reste maintenue : comment penser ces formes que le regard a retenues dans la confusion des choses ? Comment les penser maintenant qu’elles ont existé sous le regard ? Les restituer dans cette confrontation depuis une vision à une corporéité ; les rendre présentes au-delà de leur indécision dans un être-là, qui renvoie à une altérité réciproque.

La sophistication de la pensée ne pourra jamais résoudre un fondement irrationnel. Cette résignation à la vacuité du sens est une réponse dans cette présence sculpturale.

Témoigner de l’estime que l’on porte aux choses, à être-là au-delà de la fonctionnalité, du reconnaissable, de l’identifiable et simplement restituer cette présence en magnifiant ce vis-à-vis ; ce regard que l’on porte l’un sur l’autre.

Ghislaine Vappereau, février 1998

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