Ghislaine Vappereau, Philippe Piguet, L’Œil, avril 1989

Les œuvres de Ghislaine Vappereau se présentent comme des assemblages de fragments mobiliers – tables et chaises essentiellement – que l’artiste a décortiqués et qu’elle recompose en vue d’instituer une nouvelle appréhension de l’espace du réel. Le recours à des objets de rebut ne procède nullement d’une démarche d’appropriation façon nouveau réalisme, mais d’une volonté de se saisir d’éléments qui sont disponibles, c’est-à-dire offerts à un nouveau regard. Les procédures de fragmentation et de mise à plat qui gèrent l’économie de son travail sont engagées pour mettre en évidence la structure formelle que les objets qu’elle manipule portent en eux; elles visent à révéler en quelque sorte ce qu’il en est des relations étroites qu’entretiennent le réel et l’abstraction, dans le contexte d’un jeu en boucle de reconnaissance et de dénégation. Ses récents travaux mettent en valeur le rôle qu’elle accorde à l’ombre dans sa potentialité à désigner par une surface l’idée des trois dimensions : c’est que la lumière tient une place dé- terminante dans l’œuvre de Ghislaine Vappereau, parce qu’elle est un facteur qui structure l’espace, tout en dévoilant la forme intérieure des objets qu’elle accapare. L’ombre joue ici le rôle d’une assiette, au sens d’assise du mot; elle est base, sinon socle, c’est-à-dire masse. La forme du bas-relief que Vappereau a retenue pour le moment, après avoir pratiqué celle de l’installation, signale son intérêt pour tenter de créer un nouvel espace perspectif qui permette au regard de ne point céder le pas ni à la dérive de la rétine, ni à l’élucubration de la pensée.Ghislaine Vappereau accorde en effet au regard une confiance sans limite, parce qu’elle sait qu’à la différence du geste, il est à même de désigner cet intervalle entre l’objet et l’espace après lequel elle quête.

Philippe Piguet