Ghislaine Vappereau, Françoise Bataillon, Beaux-Arts magazine, 1991

Dans Beaux-Arts magazine n° 88 mars 1991

Au tout début du travail plastique de Ghislaine Vappereau, il y eut l’installation d’une véritable cuisine faite de bric et de broc, ramassé ici et là. Depuis, l’artiste a exploité chaque élément de ce curieux mobilier sans jamais perdre de vue ce dont il s’agit : à savoir, le rapport que peut entretenir une forme construite, ou plus exactement constructiviste, avec l’espace environnant.

C’est à partir de 1976, suite à la découverte d’une petite casserole bleue abandonnée dans l’herbe, que Ghislaine Vappereau développe ce qu’elle nomme « le sentiment de cuisine ». Ce qui la frappe devant cet objet déchu est à la fois sa disponibilité (conséquence de la perte de sa fonction utilitaire) et sa capacité d’abstraction : isolée de son contexte usuel cette casserole acquiert un autre statut. devient un signe. Depuis ses premières Installations, mises en scène frontales où le mobilier de cuisine s’entassait pêle-mêle et se désagrégeait dangereusement. jusqu’aux Sculptures récentes, Ghislaine Vappereau n’a pas cessé de « questionner le réel, l’apparente tranquillité des objets ». Discrète et tenace. sans compromis, elle a su se renouveler, lancer de nouveaux défis qui l’ont amenée à interroger tour à tour la perspective, la profondeur et la planéité, la lumière et sa projection. le réel et l’abstraction. C’est après le deuil de la presque totalité de son œuvre (l’incendie de son atelier, quai de Seine) et d’une matière première de plus en plus difficile à glaner que Vappereau reprend le collier dans un local de l’Hôpital Bretonneau. Sa préoccupation du moment tourne autour de la sculpture dite classique, en ronde-bosse, et fait suite à un long travail sur le Bas-relief. Partant du réel. donc de l’objet qu’elle écrasait dans des poses cocasses sur une surface plane. Ghislaine nous incitait à reconstituer mentalement la table ou la chaise ainsi désarticulée. Cet aplatissement introduisait également des perspectives raccourcies et totalement inédites. et réactualisait le problème « matissien » de la représentation de la troisième dimension sur un plan… mais en le retournant puisque le volume était initialement concret. Peu à peu la composition se simplifie. l’essence de l’objet (ombre projetée en Formica), son abstraction s’impose et dans la dernière phase des Bas-reliefs. Ghislaine inverse le processus. L’aspect du réel devient le point de départ. Seul un indice – tiroir, pied, siège – évite la pure abstraction.

Les Sculptures sont la suite logique à des Bas-reliefs. Contorsionnée, amputée, réduite à ses pieds ramassés, la chaise se prolonge, se projette dans un volume dense, opaque, ambigu (cire). Il y a dans ces œuvres un mélange de trouble et de sérénité, un sentiment de vertige et un zeste d’humour qui fait pétiller le regard.

Françoise Bataillon